[orange fonce]Guillaume Kosmicki[/orange fonce] s’intéresse dans son article à la transe (dans son sens premier), la musique, la liberté, l’autogestion autour de deux axes principaux : les rapports entre les participants aux free parties, et les valeurs porté par cette culture (nb. mouvement pour l’auteur).
« L’auteur a débuté ses recherches en 1994 en se penchant sur les phénomènes de transe qu’il pouvait y observer. Ces fêtes s’agencent en effet en de véritables dispositifs dont les nombreux inducteurs, spatio-temporels, sensoriels, musicaux, festifs ou encore organisationnels, concourent à obtenir de tels phénomènes. »
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Extraits
Cet article s’agence sous forme d’un bilan de douze ans passés dans le monde de la techno, de 1994 à 2006. C’est plus précisément de celui de la techno clandestine et contestataire qu’il s’agit, dont les manifestations festives, les free parties et les teknivals, ont conduit l’auteur à travers toute l’Europe, en France en premier lieu, mais aussi en Espagne, en Italie, en Allemagne, en Hongrie, en Slovaquie, en République tchèque et en Pologne, sur la piste des travellers.
Au cœur de la fête : la free party comme dispositif de transe
La notion de transe est prise ici selon une définition donnée par Lapassade : l’association d’un état modifié de conscience (EMC) et de son acception culturelle, le fait de le susciter et de l’intégrer dans une culture donnée à l’aide de « dispositifs d’induction sociale, [de] systèmes de croyances et [de] rituels par lesquels un EMC devient une transe »
Dans le cadre de la techno et de la free party, les « inducteurs » de transe sont multiples (nous reprenons la terminologie de Lapassade). Outre la musique, sur laquelle nous reviendrons plus bas, nous pouvons citer en premier lieu la fête elle-même et le mystère qui l’entoure. Jusqu’à leur surexposition médiatique de 2001-2002, ces fêtes ne se rejoignaient qu’au terme de parcours fiévreux parfois très longs et incertains, en plein milieu de la nuit.
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Autre inducteur : La free party remet en question la notion habituelle de l’espace. Son lieu est bien souvent très hétéroclite, surprenant, et utilisant dans la plupart des cas des bâtiments en ruine (une maison, un hangar, ou une usine…) qu’elle réenchante et fait revivre le temps de la fête.
La musique des free parties : frange dure de la musique techno
Peu de gens ont été immédiatement accroché par cette musique, et quasiment tous sont passés par une période d’initiation, plus ou moins longue, menée par des amis eux-mêmes adeptes de cette musique et précédemment initiés.
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Un paramètre extrêmement important de la performance musicale, que ce soit dans la production ou dans sa réception, est l’aspect ludique qui lui est rattaché. A tout moment, le musicien cherche à tromper les danseurs, jouant sur le retour du beat, par exemple, ou sur des illusions auditives.
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Autre élément extrêmement important de ces musiques : les sons acid. A l’origine, il s’agit de sons issus de la réutilisation de la TB 303, bassliner (synthétiseur spécialisé avec séquenceur intégré dont la fonction primordiale est de concevoir des lignes de basse), fabriqué par la firme Roland dans les années 80, au filtre très puissant, dont les sonorités n’avaient absolument pas convaincu les rockers auxquels il était en premier lieu destiné.
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Parkings, camions, squats : la construction orale d’une utopie
Durant les longues heures que durent les événements, les participants, au delà d’échanges strictement liés à la fête elle-même et à ses besoins (substances psycho-actives, nourriture, services etc.), vont aussi y échanger leurs idées, partager leurs valeurs et leur vision du monde. Ces réflexions se poursuivent dans les périodes qui séparent les fêtes : sur la route, dans les camions, fourgons et bus qui servent à transporter la logistique des fêtes comme à loger les membres des sound-systems ; ou dans les moments de pause, souvent dans des lieux alternatifs comme les squats.
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C’est là que se trouve, vécu bien plus qu’explicité, l’engagement le plus intense, le plus riche et le plus poussé des acteurs du mouvement. On se rend en effet difficilement compte des difficultés quotidiennes suscitées par leur choix de vie marginale tant qu’on ne l’a pas pratiquée soi-même. Les contraintes sont multiples, et parmi elles : devoir quasi-quotidiennement et de manière erratique chercher un lieu propice pour camper, « se poser » ; subir les regards négatifs des populations locales, voire les remarques ou les actes réprobateurs ; avoir fréquemment à négocier avec les forces de l’ordre, souvent au réveil, très tôt, et justifier continuellement de sa place, de son droit à choisir son mode de vie.
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Cet exemple montre à quel point l’autogestion est poussée jusqu’au bout dans cette culture, et à quel point l’utopie et la contestation sociale se vivent dans l’acte plus qu’elles se conçoivent dans la parole. La solidarité des membres est aussi leur force dans la prise de risque importante qu’il y a à organiser des événements illégaux.
Années 2000 : que sont les techno-travellers devenus ?
(…) En France, un chapitre de loi leur a été consacré, dans le cadre de la Loi sur la Sécurité Quotidienne (2001), précisément et notamment sur ce point. Elles sont nombreuses encore, tous les week-end, dans toutes les régions de France, mais sont beaucoup moins importantes depuis la loi, et surtout beaucoup plus discrètes. Elles ont grandement perdu de leur caractère subversif en même temps que de leur popularité, et sont un bien maigre pendant à l’aspect officialisé de leurs modèles originels : les trois à cinq teknivals organisés chaque année à grand renfort de médias, de plus en plus parqués, surveillés, hyper-organisés et pour lesquels le hasard a de moins en moins de place.
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